Sketch Tête-à-tête extrait du recueil Alban et Eve

Dans un jardin qui semble rapetisser, Alban et Ève s’interrogent sur leur espace, leur solitude et leur destin. Le dialogue oscille entre absurde et réflexion existentielle : l’ennui s’installe, le doute naît sur leur condition et la possibilité d’autres êtres. Sont-ils les premiers ou les derniers ? Ont-ils réellement choisi d’être ensemble ? Le jardin devient métaphore de leur enfermement, tandis que la quête dérisoire d’un trèfle à quatre feuilles symbolise un espoir futile. L’humour se mêle à une légère angoisse existentielle, dans une atmosphère à la fois ludique et mélancolique.

Extrait du Recueil de Sketchs Alban et Eve

2. Tête-à-tête

Le jardin peut avoir rapetissé. Ève est assise. Alban tourne un peu en rond.

Alban – Il n’est pas très grand, ce jardin, non  ?

Ève – Il est bien assez grand pour nous deux.

Alban – Il n’était pas un peu plus grand, avant  ?

Ève – Avant  ?

Alban – Ou alors, c’est nous qui avons grandi.

Ève – Je ne sais pas.

Alban – Parfois, j’aimerais bien avoir un peu plus de place.

Ève – Pour quoi faire  ?

Alban – Pour pouvoir étendre les jambes, déjà.

Ève – D’accord…

Alban – Et puis je ne sais pas moi… Qu’il reste quelque chose à explorer. Qu’il y ait encore des choses à découvrir…

Ève – Tu peux toujours découvrir… les détails.

Alban – Les détails  ?

Ève – Les petites choses.

Alban – Mouais.

Ève – Ce qu’on ne voit pas tout de suite à l’œil nu.

Alban – Qu’est-ce qu’on ne voit pas à l’œil nu  ?

Ève – Tiens, un trèfle à quatre feuilles, par exemple.

Alban – Ça existe, un trèfle à quatre feuilles  ?

Ève – Je ne sais pas. Sûrement.

Alban – Parfois je me demande si la vie vaut la peine d’être vécue.

Ève – Tu pourrais chercher un trèfle à quatre feuilles.

Alban – Mais pour quoi faire, bordel  ?

Ève – Pour me l’offrir, par exemple.

Alban – Mouais.

Ève – Ça nous porterait chance.

Alban – Tu crois  ?

Ève – En tout cas, ça t’occuperait.

Alban – Je ne sais pas.

Silence.

Ève – En même temps, je me demande si ce n’est pas toi qui as raison…

Alban – Sur quoi  ?

Ève – Ben… On s’emmerde, non  ?

Alban – Oui, c’est bien ce que je disais.

Ève – C’est vrai que ce jardin, on le connaît par cœur…

Alban – C’est sûrement pour ça qu’il nous paraît de plus en plus petit.

Ève – Si encore on pouvait partir en vacances, de temps en temps.

Alban – En vacances  ? Où ça  ?

Ève – Ailleurs…

Alban – Mais ailleurs, c’est…

Ève – Oui… On est entourés d’eau et on ne sait pas nager.

Un temps.

Alban – On n’était pas plus nombreux que ça, avant  ?

Ève – Avant quoi  ?

Alban – Je ne sais pas.

Ève – Plus nombreux  ? Tu veux dire trois  ?

Alban – Trois, quatre… Plusieurs, quoi.

Ève – Plusieurs toi, et plusieurs moi  ? Je ne sais pas.

Alban – J’ai l’impression qu’il y avait plus de monde.

Ève – Où ça  ?

Alban – Autour de nous  !

Ève – Oui, peut-être.

Alban – Mais alors où ils sont passés  ?

Ève – Plus de monde, tu es sûr  ?

Alban – Je me demandais juste si…

Ève – Quoi  ?

Alban – Est-ce qu’on est les premiers… ou les derniers  ?

Ève –  En tout cas, pour l’instant, on n’est que deux…

Un temps.

Alban – J’ai même l’impression qu’au début, j’étais tout seul.

Ève – Au début…

Alban – Je crois que toi, tu n’es arrivée qu’après.

Ève – Ah ouais  ?

Alban – Ouais.

Ève – Donc, le premier, c’était toi.

Alban – Ouais.

Ève – Alors tu seras peut-être aussi le premier à partir.

Alban – Où  ?

Ève – Je ne sais pas. Où j’étais avant d’arriver ici  ?

Alban – Ça…

Ève – De l’autre côté de la mer, peut-être.

Alban – Ou au fond.

Ève – Je ne sais pas si c’est profond.

Alban – Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas marcher sur l’eau.

Ève – Quand on a essayé, on a failli se noyer.

Un temps.

Alban – C’est curieux, tout de même.

Ève – Quoi  ?

Alban – Je n’ai jamais connu quelqu’un d’autre que toi  ?

Ève – Connu, tu veux dire…

Alban – Connu, quoi  !

Ève – Tu voudrais connaître quelqu’un d’autre que moi  ?

Alban – Non, pas spécialement, mais… Savoir que c’est possible. Toi, tu n’aimerais pas connaître quelqu’un d’autre  ?

Ève – Je n’y ai jamais réfléchi. Oui, peut-être.

Alban – Savoir qu’on a le choix.

Ève – Ne pas se limiter au premier choix… Préférer le deuxième choix, alors  ?

Alban – Là, on ne s’est pas choisis. Puisqu’on n’est que deux.

Ève – Oui, évidemment.

Alban – Comment savoir si on est vraiment faits l’un pour l’autre…

Ève – On n’est que deux, on est forcément faits l’un pour l’autre.

Alban – Oui, c’est sûr…

Un temps.

Ève – À plusieurs, dans ce petit jardin…?

Alban – C’est vrai qu’on aurait du mal à tenir à trois.

Ève – On est déjà tellement à l’étroit.

Alban – À trois… Je crois que je commence à délirer.

Ève – Allez, va me chercher un trèfle à quatre feuilles, plutôt…

Noir

Mots-clésHumour absurde, Mythe biblique, Adam et Ève, Solitude existentielle, Huis clos, Destin et choix, Question du libre arbitre, Ennui et routine, Métaphore du couple, Espace et enfermement, Quête de sens

Retour en haut