Dans leur jardin d’abondance où tout pousse sans effort, Alban et Ève commencent à ressentir une lassitude face à leur alimentation exclusivement végétale. Ils envisagent, sur un ton faussement léger, l’idée de manger des animaux, mais se heurtent rapidement aux dilemmes moraux et aux implications absurdes de leur réflexion. L’idée de tuer un être vivant les met mal à l’aise, et la conversation glisse vers un comique de l’absurde, oscillant entre curiosité et effroi. Finalement, un asticot découvert dans une pomme devient leur première expérience involontaire de consommation animale, dans une chute ironique et grinçante.
Extrait du Recueil de Sketchs Alban et Eve
3. Viande
Alban et Ève sont toujours là.
Alban – C’est dingue. Tout pousse dans ce jardin.
Ève – On n’a même pas besoin de semer des graines.
Alban – Ni d’arroser.
Ève – Et la récolte est miraculeuse. On n’a qu’à tendre le bras pour cueillir les fruits.
Alban – Et se baisser pour ramasser les légumes.
Ève – Et tout est absolument bio.
Alban – Oui… Ça veut dire quoi, au fait ?
Ève – Quoi ?
Alban – Bio.
Ève – Aucune idée.
Alban – Qu’est-ce que ça pourrait être, des fruits et des légumes qui ne soient pas bio ?
Ève – Je ne sais pas.
Alban – En tout, c’est bio, et c’est bion.
Ève – Tu veux dire c’est beau et c’est bon…
Alban – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?
Un temps.
Ève – Parfois, j’en ai un peu marre de bouffer des légumes, pas toi ?
Alban – Si. Mais qu’est-ce qu’on pourrait bouffer d’autre ?
Ève – Qu’est-ce qui se mange, ici, à part les primeurs ?
Alban – On ne va pas bouffer de la terre…
Ève – On ne va pas bouffer de l’air.
Alban – On ne va pas boire l’eau de mer.
Ève – Et on ne va pas se bouffer entre nous.
Alban – Ben non…
Un temps.
Ève – On pourrait bouffer les animaux.
Alban – Les animaux ?
Ève – Non, mais je déconne.
Silence.
Alban – Remarque, c’est peut-être bon.
Ève – Tu crois ?
Alban – Ce n’est pas très appétissant
Ève – Mais c’est vrai que ça changerait un peu.
Alban – Comment on peut savoir que ce n’est pas bon…
Ève – On n’a jamais essayé.
Alban – Et… on les mangerait vivants ?
Ève – Qu’est-ce que ça veut dire, vivants ?
Alban – Comme les fruits.
Ève – Tu veux dire crus.
Alban – C’est ça. Nature, quoi. En salade.
Ève – Tu crois qu’ils se laisseraient bouffer tout cru ?
Alban – Tu as raison, il vaudrait peut-être mieux les tuer avant.
Ève – Les tuer ?
Silence embarrassé.
Alban – Tu as déjà tué quelqu’un, toi ?
Ève – Tu veux dire, un animal ?
Alban – Ben oui. Pas un homme. Comme on n’est que deux, si tu avais déjà tué quelqu’un, je ne serais plus là pour poser la question.
Ève – Non… Enfin, pas intentionnellement…
Alban – Si on ne le fait pas exprès, c’est moins grave, non ?
Ève – Oui, c’est… un homicide involontaire.
Alban – Si on tuait un animal. Sans le faire exprès. On pourrait le bouffer après. Pour voir quel goût ça a.
Ève – Oui… Si on ne le fait pas exprès…
Un temps.
Alban – Ça commence à me faire peur, cette conversation…
Ève – Moi aussi…
Alban – Et puis les animaux, c’est comme nous, il n’y en a qu’un couple de chaque espèce.
Ève – On en bouffe un chacun et aussitôt, c’est l’extinction de la race.
Alban – Je vais reprendre un peu de salade, plutôt.
Ils mâchouillent chacun une feuille de salade sans appétit.
Ève – Tu veux une pomme, pour ton dessert ?
Alban – Allez…
Ils mangent une pomme.
Ève – Je commence à en avoir un peu marre, des pommes.
Alban – Oui… Moi aussi…
Ève – Tiens, il y avait un asticot dans cette pomme.
Alban – Non ?
Ève – Ben j’en ai bouffé la moitié. Sans le faire exprès…
Alban – Et alors ?
Ève – Ce n’est pas mauvais…
Noir
Mots-clés : humour absurde, mythe biblique, Adam et Ève, alimentation, végétarisme, carnivorisme, dilemme moral, instinct de survie, ironie, comédie noire, absurdité, existence