On peut très bien, et on doit même parfois, oublier l’homme pour apprécier pleinement son œuvre. Il n’en reste pas moins que derrière toute œuvre il y a un homme. Et c’est l’un des mérites de ce spectacle de nous le rappeler.
Si nous connaissons tous plus ou moins la poésie de Baudelaire, ses écrits en prose nous sont moins familiers, et ses écrits épistolaires sont généralement méconnus. Vers la fin de sa vie, depuis son exil à Bruxelles pour échapper à ses créanciers tout en rêvant d’un retour triomphal à Paris, ces lettres à sa mère nous révèlent un homme conscient de son génie, mais profondément meurtri de ne pas le voir reconnu à sa juste valeur. Des lettres qui font étrangement écho à celles adressées par Vincent van Gogh à son frère Théo, témoignant elles aussi de façon poignante de la douloureuse frustration de l’artiste quand son œuvre, à laquelle il a consacré toute sa vie, reste ignorée voire méprisée du public.
L’autre originalité de ce spectacle est de mettre en résonance les mots de Baudelaire avec les notes de Beethoven, en un dialogue intime que n’aurait pas renié le poète qui le premier célébra les correspondances entre les arts et les synesthésies. Baudelaire aimait la peinture et la musique. Il admirait Beethoven, et comme nous le suggère malicieusement Isabelle Krauss, rien n’interdit d’imaginer qu’il écrivit certains de ses poèmes en ayant à l’esprit les sonates de Beethoven.
Un spectacle poétique et musical, sensuel et multi-sensoriel, porté par une comédienne habitée et par une pianiste virtuose, liées par une belle complicité.
À ne pas manquer dans cette salle chaleureuse du Théâtre des Trois Raisins.
Critique de Jean-Pierre Martinez
27 octobre 2023
Mise en scène et jeu : Isabelle Krauss
Pianiste-concertiste : Elodie Sablier
Lien vers le site du Théâtre des 3 Raisins