Faire que ma première demeure ne soit pas la dernière. Ce fut mon premier rêve. Et c’est sans doute de là que me vient cette passion pour la conquête spatiale et ma profonde aversion pour toute forme de religion. « Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière » dit la Genèse. Alors efforçons-nous au moins de mordre à la fin une autre poussière que celle qui nous a vu naître. Une poussière d’étoiles, si possible. Après une vie dans la boue, que le berceau de l’Humanité, au moins, ne soit pas aussi son tombeau.
Je suis né dans le lit de mes parents, à l’endroit même où j’avais été conçu. Accoucher à domicile, sans anesthésie bien sûr et avec pour seule assistance le médecin de famille et parfois une voisine, ce n’était pas à l’époque un retour aux sources réservé à quelques bourgeoises en quête de sens à donner à leur pauvre existence. C’était tout simplement la dure réalité de beaucoup de femmes du peuple. Les bourgeoises, elles, accouchaient déjà à l’hôpital. Il est toujours navrant de voir certaines femmes, et certains hommes, considérer comme un acte de liberté le fait de revenir aux servitudes d’antan, mais volontairement cette fois. Désirer la soumission, à la tradition, à la Nature, à un dieu ou à un homme, est-ce vraiment la liberté ?
Je suis né par le siège. En d’autres termes, je suis arrivé au monde en lui montrant mes fesses. Autant dire que pour ma mère, ce ne fut pas la façon la plus facile et la moins douloureuse d’accoucher, encore moins presque seule, chez elle, sans même le soutien d’un mari trop occupé à gagner l’argent du ménage, ou préférant tout simplement s’épargner le spectacle d’une telle boucherie. Oui, les plus infortunées des femmes accouchaient alors dans leur lit. Au besoin, elles avortaient aussi dans leurs propres toilettes. Les faiseuses d’ange ne sortaient pas de la Faculté de Médecine, les toilettes étaient souvent au fond du jardin, et elles ne sentaient pas la rose. J’aurais pu ne pas être le petit dernier. C’est là où il a fini, sans même avoir vu le jour. Je me suis juré de ne pas finir dans ce trou.
Écrire sa vie, une auto-fiction graphique de Jean-Pierre Martinez